se faire arnaquer

Pour mon 1er article, je vous ai conté les circonstances de ma 1ère création d’entreprise.
Comme vous vous en doutez l’entrepreneuriat n’est pas un long fleuve tranquille. 

Il n’y a pas vraiment de stage de préparation.

 
Pour débuter, le monde du business n’est pas une concentration de gens bienveillants ou spirituellement élevés.
Quelques mois après avoir obtenu ma première immatriculation, je vois par hasard un flyer invitant à un café des créateurs d’entreprises et des porteurs de projet.
Tout d’abord j’appelle le numéro indiqué et la personne, au ton de voix très enjoué m’incite à venir, même si je ne suis pas strasbourgeoise !
Le lendemain, me voici dans un centre socio-culturel au milieu d’autres femmes où lors d’un tour de table chacune explique timidement son idée.
2 personnes sont là pour recueillir les infos :
Une femme que nous appellerons, Aline.
Un homme, Hubert.
Lui est plutôt en retrait ; elle, parle, complimente, incite à la parole et donne beaucoup d’infos, de contacts et des pistes.
Évidemment lorsque j’explique mon activité : être l’interface entre mon client et le courtier/banquier/assureur afin de renégocier les contrats et d’harmoniser les garanties, elle trouve cela formidable. En premier lieu, le contact avec Aline est très facile. Je suis impressionnée par son abattage, la somme de ses connaissances, cette capacité à partager les infos.
Puis très vite, elle me sollicite pour que je m’occupe de ses contrats d’assurances à titre privé (elle m’expliquera qu’elle ne paiera pas ma prestation car elle me teste et pourra par la suite me recommander, la maline…) et je rentre un peu dans sa vie.
En réalité son mari la quitte, elle est effondrée, elle a 2 enfants et elle est un peu perdue. Parfois il y a aura des appels tardifs qui se prolongeront jusque tard dans la nuit.
Elle me parle de tout et notamment de sa situation professionnelle auprès d’Hubert son ami depuis de nombreuses années et qui lui a offert du travail.
A force d’échanger avec Aline qui s’épanche longuement sur les difficultés que rencontre Hubert avec ses collaboratrices, je m’interroge naturellement sur les pratiques managériales de celui-ci. (16 années passées comme responsable commerciale à gérer des équipes, ça donne un background sur le management).


Se méfier de l’insignifiance…

 
Enfin elle propose voire impose à Hubert de me faire intervenir en tant que consultante externe pour réaliser un audit au sein de VAISSEAU AMIRAL.
Sincèrement Hubert, c’est un type un peu transparent, fuyant souvent, incapable de régler un conflit dont il est souvent à l’origine finalement. Hubert a créé plusieurs sociétés, la principale dont tout découle appelons-la : VAISSEAU AMIRAL.
Il a un acolyte, Roger, fidèle parmi les fidèles, un gentil monsieur.
Puis une autre société : CHOSE, dont Aline est salariée.
Et une autre entité qui relève plutôt d’une marque : BUREAU MAGAZINE portée par VAISSEAU AMIRAL.
Enfin, toutes les subventions demandées pour la « marque » BUREAU MAGAZINE sont officiellement signées par VAISSEAU AMIRAL et encaissées sur le compte bancaire dédié. D’ailleurs tous les contrats de prestataires (photocopieur, bail des locaux etc..) de même sont au nom de VAISSEAU AMIRAL mais au bénéfice de BUREAU MAGAZINE.
Finalement j’accepte la mission et je suis très claire avec Hubert mais sans jugement.
Après tout, on ne peut pas tout faire, et c’est plutôt un point positif de reconnaitre ce qui ne fonctionne pas en essayant de trouver des solutions.


Mettre du cœur à l’ouvrage.


A ce moment-là, je m’intéresse assez peu à ce qu’il fait, au cœur de son business, je sais qu’il court après les subventions et qu’il côtoie beaucoup de gens importants à des postes clés sur la région.
Pour moi qui viens du privé, le public ne m’intéresse pas, je n’y comprends rien et je trouve ça tellement lourd et compliqué ces appels à projet, subvention etc…
De manière insidieuse il incite de plus en plus Aline à reprendre la gérance de CHOSE par le biais de laquelle il l’a embauchée avec des arguments qui s’entendent :
« Tout le monde te connait »
« La société c’est toi, tu fais tout, tu maîtrises le sujet »
« Et puis tu sais ça a du sens, dans l’économie sociale et solidaire, de faire la promotion des femmes »
En définitive elle est dure à convaincre, mais comme à chaque fois elle posera ses conditions.
Et sa condition c’est que je reste à leurs côtés, elle refuse de prendre la gérance sans mon accompagnement dans la gestion administrative et RH. Hubert n’objectera rien à ça.
Quant à moi, ma mission s’arrête dans 2 mois, je ne souhaite pas aller au-delà. Hubert et moi, nous ne nous sommes pas « choisis » avec le recul aujourd’hui il est clair qu’elle m’a imposée, sans manichéisme.


Opportunément, il a saisi sa chance…

 
Quelques temps plus tard, après avoir évidemment soumis l’idée à Aline, il me propose de reprendre la gérance de VAISSEAU AMIRAL : son entreprise la plus connue, celle qui existe avant les autres et dont tout découle.
Sincèrement je ne cache pas mon peu d’enthousiasme.
Comme je l’ai expliqué plus haut les fonds publics etc. ce n’est pas du tout mon domaine. Puis je ne comprends pas qu’il n’y ait pas eu d’offres à destination des entreprises.
En réalité je trouve cela tellement risqué qu’une entreprise, avec des salariés soit uniquement dépendante de subventions.
Mais Aline ne lâche rien et me convainc que notre duo saura travailler et faire avancer les entreprises et les collaborateurs. Puis pour achever de nous rallier à sa cause, il appelle sa « marraine professionnelle » femme politique à la carrière nationale et européenne qui nous reçoit dans son bureau et échange avec nous sur la pertinence des femmes à la tête d’entreprise particulièrement dans l’ESS.
 

Après ça, comment douter ?

Nous reprenons donc chacune les gérances, une juriste qui fait partie de l’entourage d’Hubert s’occupe des démarches administratives et à l’époque, à part mon instinct rien ne me pousse à douter de la probité des uns et des autres.
Comme nous sommes en été, l’activité est ralentie, je profite donc de ce temps pour annoncer clairement à l’équipe qu’il faut développer une offre privée en lien avec l’expertise affichée de la société.
Ainsi je m’attèle à la tâche. Hubert devient donc techniquement mon salarié. Mais il continue à mener sa barque comme il l’entend, il disparait, puis réapparait.
Par contre, assez vite je mets mon nez dans la gestion administrative, les factures, le tri du courrier etc…
En fait, je n’ai pas conscience de prendre les choses à l’envers ni d’avoir fait preuve d’une confiance aveugle.
Je pense juste qu’Hubert est un visionnaire : il développe des idées, des projets mais qu’il n’est pas manager, pas gestionnaire, pas comptable du tout.
En réalité je commence à réaliser qu’il est inquiet : il laisse filtrer parfois que les subventions attendues n’arrivent pas. Puis il commence à faire croire qu’il souffre d’un burn out, Aline évidemment le soutient sans réserve.
Quant à moi, au moment de signer les statuts, je lui dis cette phrase gravée dans ma mémoire :
« Attention Hubert, Aline et moi sommes 2 mères célibataires chacune avec 2 enfants à charge,
ne nous mets pas en danger »
Alors qu’il essayait gentiment de me faire croire qu’il nous faisait une fleur.
La main sur le cœur et droit dans les yeux, il me répond « mais non ! Enfin comment peux-tu penser une chose pareille ! »
Un jour j’ouvre une armoire où je trouve toutes les factures, les courriers en vrac non triés, non traités.
Et je classe, je mets de l’ordre. Premier coup de gueule lorsque je constate qu’il n’a pas payé l’URSSAF et qu’il y a une amende.
D’une nature plutôt directe, je le confronte assez rapidement en lui demandant combien de temps il nous reste. C’est alors qu’il m’annonce 6 mois. Quelques jours plus tard j’apprendrai par un tiers à qui il s’était confié qu’en fait c’est 3 mois.
C’est-à-dire qu’à Noël il n’y aura plus rien :
Ni argent
Ni locaux
Rien.
Fait étrange, je n’ai pas les comptes bancaires…
Lorsque je traite les factures en attente, je prépare 2 chèques avec de petits montants et je demande à Hubert de les signer.
Et là il me regarde en souriant, se balançant sur sa chaise et me dit « non je ne peux pas les signer, c’est toi la gérante ». Je lui rappelle que je n’ai pas la signature…. Et il sourit.


Soudainement, j’ai compris….

 
Je l’ai traité d’escroc. Puisque c’est ce qu’il est. Et je n’étais pas au bout de mes surprises.
Puisqu’il a fui, littéralement. Ainsi, à son arrivée au rez de chaussée il croise Aline puis s’indigne de la manière dont il est interpelé.
Mais comme je le suivais j’ai expliqué à Aline ce qui venait de se passer.
C’est son ami, sa prise de conscience sera longue et difficile. Et mon rôle encore plus compliqué : lui faire admettre que son ami l’a trahie, nous a menti et utilisé.


Plus dure sera la chute…

A ce moment-là un échange assez vif avec l’élu en charge des subventions me fait entendre qu’il n’y aura plus aucun soutien financier. Je suis toujours dans la dynamique de développer une clientèle privée ne serait-ce que pour sauver les emplois de 4 personnes.
Aline est en panique, je l’accompagne chez un avocat, j’essaie de la convaincre de nous battre ensemble, mais au retour d’un week end prolongé d’automne elle m’annonce qu’elle arrête et veut sauver sa peau. Sa volte-face sera très difficile à digérer.
Sauve qui peut et Dieu pour tous, dit le dicton…
Les relations avec Hubert sont évidemment extrêmement tendues et il profite de son statut salarié pour se mettre en arrêt maladie en exigeant une transaction.


Je vais de découverte en découverte.

En réalité, depuis plusieurs années, Hubert via VAISSEAU AMIRAL a des locaux mis à disposition au sein d’une entité nationale.
Comme nous devons quitter l’espace de BUREAU MAGAZINE, je prévois naturellement qu’à partir de janvier nous réintégrions les bureaux prêtés.
J’interroge donc Hubert en demandant quel est le cadre de cette mise à disposition puis qu’il serait bien d’informer le directeur que nous allons être à nouveau plus présents.
Mais Hubert est fuyant comme à son habitude. Il me dit qu’il n’y a aucun problème : c’est un prêt « comme ça » sans convention.
Dès lors je lui interdis d’aller s’y présenter seul dans l’après-midi et certainement pas sans moi.
Mais il disparait, comme à son habitude, revient en fin de journée et m’annonce benoîtement que c’est réglé.
D’ailleurs il faut vider les lieux et leur rendre les clés à la fin de la semaine suivante.
Immédiatement j’appelle la personne en charge, croisée une fois, en lui demandant quelques éclaircissements.
Là j’apprends qu’Hubert est venu le voir et l’a informé que nous quittions leurs locaux.
Aussi il me précise qu’il faudrait enfin nous acquitter de la dette contractée à leur encontre qui court depuis plusieurs années.
En effet, dans la convention (il y en avait bien une) VAISSEAU AMIRAL devait payer les charges. La somme due est de 5000 euros…Il faudra aussi se charger de vider complètement ces locaux : un grand bureau et un grand atelier.
Petite anecdote : Aline et Roger, les 2 vieux amis d’Hubert parlaient de lui comme quelqu’un d’extrêmement bon et gentil.
Il avait réussi à se construire une légende personnelle.
Le pauvre homme qui avait dû lutter contre une ex-femme hystérique et obtenir la garde de ses enfants afin de les protéger de leur mère.
Lorsque j’ai vidé ce lieu, au fond d’une armoire, j’ai trouvé les notifications d’huissier et de condamnation judiciaire. Pour non-paiement de pension alimentaire.
La vraie raison pour laquelle il était parti s’installer en Allemagne pendant quelques années histoire de se « mettre au vert ».
Il a créé en secret, la société BUREAU MAGAZINE.
Avec 2 associés qui sont basés en Allemagne afin d’ouvrir un compte bancaire. Et c’est là qu’il fait reverser des sommes liées aux subventions.
Dans son bordel j’ai découvert un bordereau bancaire où il est indiqué qu’il y a 20000 euros sur ce compte. Il refuse de rendre cet argent.
Et réclame, pour quitter l’entreprise, la somme de 10000 euros.


Le pire Noël de ma vie…

 
Entre Noël et Nouvel an c’est avec mon fils aîné que je vais nettoyer les bureaux. Puis rendre les clés comme je m’y suis engagée auprès du syndic. Sacrées fêtes de fin d’année…
En janvier, nous sommes donc sans locaux. Sans la gentillesse d’un chef d’entreprise qui dirige un espace de co-working nous aurions été à la rue.
Avec l’avocat de VAISSEAU AMIRAL, nous nous retrouvons au conseil de l’ordre des avocats avec Hubert et son avocat.
Motif : Hubert veut acter son départ avec un chèque de VAISSEAU AMIRAL. Pour avoir droit aux indemnités chômage il m’accuse de harcèlement.
Mais cette transaction n’aboutira pas. Je garde l’image d’un type peu courageux et malhonnête qui ne peut même pas me regarder dans les yeux.
C’est la dernière fois que je serai en sa présence.
Pendant que mon fils et moi nous étions en train de débarrasser et de nettoyer les locaux.
Il était en vacances au Mont Saint Michel…
Afin de protéger Aline, je propose de la sortir de la gérance de CHOSE en la reprenant. Après tout, il faudra fermer les 2 entreprises. Et j’essaie de convaincre Aline et Roger, qu’il faut faire les choses proprement et en douceur. Car j’ai peur que nous soyons accusés de malversations.
Aline devient donc ma salariée. Et dès lors exige une liquidation judiciaire lui permettant de toucher les indemnités chômage à 100% et d’être mieux protégée.
Elle me fera vivre un calvaire, à partir du moment où elle prend conscience de la situation.
Sa situation personnelle adossée à la gérance qu’elle avait prise et à l’angoisse de se retrouver sans rien avec ses enfants l’ont fait complètement dérailler.


Manquait plus que la police…

 
Aline fera des scènes mémorables notamment en public. Elle contacte la DIRECCTE qui immédiatement fait un signalement aux instances judiciaires.
Je reçois un courrier de convocation à la brigade financière. Pour ne rien arranger, la lettre arrive le vendredi dans ma boite aux lettres. M’intimant de me présenter le mardi précédent. Tout le week-end je m’imagine en garde à vue, ne sachant pas comment m’organiser avec mes enfants. Heureusement beaucoup de stress pour rien…
Moi la fille, petite fille, arrière-petite-fille, sœur et nièce de militaire.
Je ne peux décrire à quel point me présenter au poste de police dans ces circonstances a été une épreuve.
Je rencontre un OPJ, très calme, à l’écoute, qui avait déjà eu Aline au téléphone. J’essaie d’exposer calmement les faits, elle se rend bien compte que je ne suis ni malhonnête ni une criminelle. Je me suis juste fait abuser.
Et j’apprendrai que je ne suis pas la seule. En effet il est coutumier du fait, dixit son collègue policier. Il a déjà sévi de nombreuses années auparavant dans d’autres régions avant de refaire surface en Alsace.


Profession ? Escroc !

 
Aucune poursuite à mon encontre, les procédures de liquidation judiciaire sont enclenchées pour VAISSEAU AMIRAL et CHOSE. Quant à moi je ferai 5 semaines de rayons après un méchant truc moche sur mon sein gauche.
Hubert a donc disparu. J’ai découvert que les subventions touchées pour BUREAU MAGAZINE via VAISSEAU AMIRAL étaient reversées sur le compte secret d’où les fameux 20000 euros.
Je n’ai malheureusement pas pu remonter sur les sommes précédentes, mais je présume qu’il y a eu plus.
Aline a obtenu ce qu’elle voulait : la liquidation judiciaire, un statut de victime et des droits au chômage.


Roger, le fidèle parmi les fidèles…


Celui qui, dans cette histoire est le plus discret mais tout autant grandement trahi c’est Roger.
Un Monsieur associé dans presque toutes les entités d’Hubert. Qui signait les yeux fermés tout ce qu’il lui demandait, corvéable à merci pour un salaire de misère.
Il est le seul, avec ses moyens à être resté à mes côtés malgré les révélations et les complications.
En définitive ça a été très dur de mettre VAISSEAU AMIRAL en liquidation.
Par égard pour lui qui avait tant donné.
En plein mois d’aout je suis convoquée au tribunal compétent. Les liquidations de CHOSE et VAISSEAU AMIRAL sont officiellement prononcées.


Vous pensiez que tout s’arrêtait là ?

C’est avoir beaucoup d’espoir !
Ensuite il faut travailler avec la liquidatrice.
Quelle chance je suis tombée sur la plus compréhensive et la plus pédagogue !
Rien ne me sera épargné…
En substance, elle me dira après avoir entendu toute l’histoire :
« Le bilan, c’est que vous n’êtes pas faites pour diriger une boite.
Retournez à un emploi salarié, ils me font marrer ces gens qui pensent qu’ils peuvent gérer des entreprises alors qu’ils en sont incapables ».


Après ?

Il faut rebondir
Trouver de l’argent pour continuer à faire manger mes enfants.
Digérer toute cette affaire, comprendre les ressorts intimes et personnels qui m’ont fait accepter et porter tout ça.
Tirer les leçons.
Accepter que mon nom soit entaché.
Faire le deuil de mes espoirs, de l’énergie dépensée pour rien et de mon argent perdu (30000 euros).
Évacuer la culpabilité.
Atténuer la colère.
Choisir entre persévérer dans mon choix d’activité indépendante ou aller faire caissière chez Leclerc ?
 
Aujourd’hui, je pourrai dire que le temps a fait son œuvre, nous allons bien, mes enfants et moi-même. Je ne peux défaire ce qui est arrivé. Mais je peux faire un bilan.
Après l’auto-flagellation :
« Pourquoi je n’ai pas quitté le navire dès la 1ère alerte, au lieu de vouloir sauver tout le monde ? »
La colère :
« Comment peut-on abuser d’une nana qui se bat déjà seule avec 2 loulous sans soutien ? »
J’ai compris. Appris. Mais aussi gagné en compétences. Et surtout, je n’ai pas démérité.
Je peux me regarder dans la glace sans honte, en me couchant sereine.
Evidemment toute ressemblance avec des personnages ayant existé et des situations réelles pourraient ne pas être fortuite.

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